En fait, Dorgnath dû encore attendre durant une dizaine de minutes, avec son verre de vin fruité, avant de voir de nouveau quelqu'un arriver. Il s'agissait cette fois non d'un domestique mais de trois hommes portant l'uniforme de la Garde Impériale, que l'Émissaire avait déjà dû voir plusieurs fois depuis son entrée dans le Palais. Ceux de ces gardes-ci, plus ornementé, à l'air plus officiel, annonçait une occasion prestigieuse, même si le pas martial et l'air professionnel des nouveaux arrivants démentait toute idée de soldat de pacotille qu'on n'aurait sortit que pour les parades. Celui qui marchait au centre, un homme de haute taille au regard de glace et aux cheveux blonds, avait une aura d'autorité et de commandement qui l'identifiait immanquablement comme un chef, même sans les marques de son rang dans la hiérarchie militaire et de son appartenance au corps des Capitaines, l'élite de l'élite des Armées Impériales en générale, Garde comprise. Le trio vint se planter devant l'homme du Dorthonion pour effectuer un impeccable salut militaire.
« Votre Excellence... Si vous voulez bien me suivre, Sa Majesté Impériale va vous accorder audience en sa Salle du Trône... »
Aussitôt dit, aussitôt fait. Le Capitaine n'attendait pas vraiment de réponse. Lui en tête, ses deux hommes à l'arrière formant avec lui un triangle dont Dorgnath était le centre, ils se mirent en route. Le petit groupe passa une porte pour aboutir dans le hall qui précédait à la Salle du Trône proprement dite. Celui-ci était déjà immense, avec de grands piliers de marbres sculptés de grandes scènes des guerres entres Alliances et Royaumes les plus puissants du temps du Premier et Second Empire. Apparaissaient, entre autres, Pandora avec sa devise gravée en caractère runiques, les Chevaliers de l'Apocalypse et l'image de leur sombre Dieu, l'Avènement des Elfes Noirs et Alicandia la Belle, l'Échiquier et sa Grande Guerre, la Guilde du Phénix et l'Île de Spyréa l'Écarlate, les Gardiens de la Forêt et la Citadelle de Prey Nokor... Bien des gloires passées dans les conflits sanglants qui rappelaient le passer de feu et de larme du continent. Un passé que le nouvel Empire n'avait pas pour ambition de reprendre, pas à l'identique, même s'il célébrerait ses hauts-faits à jamais, ou du moins tant qu'il durerait lui-même...
Un tapis rouge sang brodé d'or traversait le hall, qui comportait plusieurs portes latérales, comme celle par laquelle ils étaient entrés. Le plafond était peint de superbes fresque, et le sol libre révélait une mosaïque de marbre noir et blanche. Le petit groupe cheminait maintenant sur le tapis, vers les immenses portes qui semblaient faites d'or pur, quoiqu'il fut impossible de dire si c'était bien le cas où si seule une couche de revêtement plus ou moins grande était en or. Chaque battant était divisé en deux par une bande de platine, et les quatre fenêtres ainsi créées s'ornaient des Quatre Grands de l'histoire éternienne : Asahi, Amras, Gorath et Ellianne, chacun assis et tenant un objet de pouvoir symbole de sa fonction. L'Empereur et l'Impératrice étaient couronnés, et alors que le premier arborait la crosse de pèlerin et les cinq clés réunies, la seconde tenait le sceptre qu'elle avait fait ciselé et une épée, symbole de sa gloire guerrière, avec à côté d'elle un livre symbolisant la loi et les élections qui avaient été de son côté. Asahi tenait son sceptre de règne, perdu avec elle, et une maquette de la Tour symbolisant les Cinq qui l'avait intronisées. Gorath, enfin, était munis des insignes de sa charge de Gouverneur d'Etemenorkia.
Ces œuvres d'art massives pivotèrent vers l'intérieur, révélant la Salle du Trône en elle-même. Vaste, aérée, elle possédait des rangées de bancs à coussins prévues pour les nobles lors des grandes cérémonies, et pour l'instant désertes. C'était une audience privée. Les colonnes, moins nombreuses que celles du hall, étaient en pierres précieuses, chacune d'une pierre différente, autant de cascades de la lumière qui se déversait à flot par les vitraux en demi-cercle sur les murs. Le plafond était blanc, parcouru de fils d'or menant au symbole de la Couronne, blason simple et direct de l'Empire. Le tapis rouge se prolongeait, grimpant les marches menant au Trône jusqu'à celui-ci même. Le siège de l'Impératrice était un ouvrage exquis et majestueux, fait d'ivoire et d'argent, placé devant un dais ocre au-dessus duquel s'ouvrait un puis de lumière solaire, ouvrait une traînée de feu dans le tissu et tombant glorieusement sur le Trône et son occupante... Soudain, à la droite du petit groupe un bâton frappa trois fois le sol à coup retentissant, et une voix puissante se fit entendre, raisonnant de manière parfaite à travers toute la salle.
« Son Excellence, Dorgnath, Émissaire de sa Majesté Royale Oradroth, Roi du Dorthonion et d'Ergar ! »
C'était le Héraut officiel de la Cour, choisi expressément pour sa voix puissante et claire. Quand les échos de sa voix furent morts, le Capitaine se remit en route, quoique les deux soldats ne suivent plus, s'étant rangé avec les leurs de chaque côté de la porte, car, bien entendu, un grand nombre de Gardes Impériaux étaient présents, le long des murs et de chaque côtés des portes, pour protéger l'Impératrice. Celle-ci se trouvait comme de bien entendu sur son Trône, regardant approcher l'étranger. Physiquement, c’était une femme plutôt jeune, pouvant avoir à peu près la vingtaine, mais pas d'avantage, quoiqu'en données réelles de plus nombreuses années soient passées sur elle. Sa silhouette gracieuse et élancée était pleine d'une douce noblesse qui se reflétait également dans ses traits. Ceux-ci, malgré son jeune âge, étaient fins et délicats, emprunts d'une beauté douce, haute et fière, presque à l'image de son palais, ou de cette salle. Ce beau visage était encadré par une longue chevelure qui, à l’origine, avait été indigo, mais qui à présent se rapprochait plus d'un bleu fort sombre, comme si toute teinte rouge s'était enfuie vers les deux mers carmines qui formaient son étonnant regard, capable de revêtir tant d'expressions et qui illuminait ses traits… Si ces yeux rouges pouvaient paraître « spéciaux » dans l’Empire, il étaient parfaitement « normaux » en Alwinion dont elle avait été la Dame sous le Second Empire, où le rouge était une teinte oculaire fort répandue, et ne dépareillaient donc pas avec ceux de ses gens de haute condition.
Au niveau vestimentaire, l'Impératrice Ellianne portait une robe d’excellente coupe, tenant ses divers rangs élevés, ainsi que celui qu‘elle allait assumer en ce jour. Celle de ce jour bien spécial était blanche, d’une blancheur éclatante, parcourue de fins fils d’or captant et renvoyant les diverses lumières passant à portée, en des motifs abstraits, mêlés à d'autres fils, pourpres ceux-là, dessinant la silhouette mainte fois répétée de l'Oiseau Souverain, le Phénix Flamboyant que la souveraine continuant de vénérer. Sous cette robe, elle portait, comme toujours et même maintenant, des semi-bottes de cuir sombre, confortables et élégantes, aptes à des activités aussi diverses que la marche distinguée, la course ou la danse, entre autres. Elle n'arborait aucune parure particulière, sauf les trois bijoux qu’elle arborait toujours. Un collier et deux bracelets, faits d’alliages précieux mais bien plus résistants qu’ils ne le devraient normalement, un à chaque bras, où étaient serties trois pierres d'un blanc un peu laiteux, une dans chacun, aux reflets changeants. Et bien sûr, posé sur sa jolie petite tête, la Couronne de l'Empire d'Eternia, un anneau d'or et de mithril entrelacé, porteur d'une puissante magique qui l'adaptait à la tête de sa porteuse et ferait éclater impitoyablement le crâne de toute usurpateur qui voudrait s'en ceindre..
Son attitude était toute impériale, fière mais sans arrogance, alors qu'elle regardait s'avancer les deux hommes avec la lenteur convenant à un tel instant. Elle ne portait pas la moindre arme, même décorative, mais sa dangerosité n‘avait jamais résidé dans une arme quelconque. Elle se trouvait plutôt dans la Magie redoutable qui était la sienne, et dans l'irrésistible poussée qu'elle pouvait exercer sur une armée loyale et fidèle, ainsi, maintenant, que dans son immense pouvoir politique. La souveraine de la majorité du monde connu observa le Capitaine arriver au pied des marches, saluer martialement puis aller se ranger sur le côté, rejoignant les autres personnalités, militaires ou non, qui avaient le privilège suprême d'être assis sur de simples sièges de bois avec coussin de part et d'autre de l'escalier. Mais Dorgnath aurait mieux fait de prêter attention à Ellianne, surtout maintenant qu'il était seul devant son trône...
« Salut, Émissaire du Dorthonion. Que nous veut Oradroth, notre royal frère félon ? Se serait-il finalement décidé à jurer l'allégeance qu'il nous doit ? »