Un sale gosse magicien portant une bannière d'Ombre, la Dauphine et Archiduchesse d'Empire... Évidemment, pour les praetorii, c'était pas bon signe. Ils n'aimaient pas la magie, et même s'ils étaient maintenant des soldats impériaux, leur Grand-Duché appartenant à l'Impératrice Ellianne, ils n'aimaient pas trop l'Empire, qui les forçait un peu à se mêler à d'autres gens, qu'ils auraient préféré ne jamais rencontrer.
Mais bon, en tant que garde-frontière, on a des obligations...et ce genre de gosse, ça se renvoie pas dans l'autre sens de la route d'un simple coup de pied aux fesses, hein ! Alors, le gamin avait rapidement été emmené du poste-frontière sur la route à Samios, capitale de la "Marche Nord-Ouest", et que l'Empire connaissait sous le nom de "Comté de Samios" -les praetorii étaient d'un utilitarisme navrant, le plus souvent.
Samios n'était qu'une capitale comtale praetorienne: si, plus dans l'Empire, cela aurait pu être une puissante ville, le qualificatif de "praetorienne" suffisait à faire changer d'idée. Construite en pierre, les bâtiments étaient allongés, serrés les uns contre les autres, la plupart tournés vers le Sud de la vallée encaissée où se trouvait la ville -le Comté de Samios, dans le Nord, était réputé pour des froids assez prenants, sans être toutefois insoutenables. Elle ne devait pas compter plus de trois milles habitants, au grand maximum.
La ville était donc encadrées par deux plateaux: un bas à l'Est, et un haut et large à l'Ouest. Ce dernier supportait une forteresse assez secondaire, mais impressionnante comme toutes les citadelles praetorii par la hauteur de ses murailles -dans les trente mètres de haut, ici, avec des tours s'élevant jusqu'à quarante mètres. L'enceinte ne faisait pas plus d'une demi-lieue -deux kilomètres- de longueur; à l'intérieur, s'appuyaient à ladite muraille des constructions du même type que celles de la ville, le plus souvent des casernements, entrepôts et écuries; enfin, appuyé au mur Sud, à quelques dizaines de mètres de l'entrée de la muraille -un passage étroit, défendu par quelques mâchicoulis, deux portes en bois renforcées de fer et une herse morne et triste-, se trouvait le donjon, simple haut bâtiment dépassant les tours des murailles d'une dizaine de mètres au plus, strictement carré.
Or donc, après près d'une journée de voyage les yeux bandés et les mains attachées à la selle du cheval qui le portait, allant certainement au grand galop vu le bruit et le rythme de la bête, Kiaran avait été introduit dans ledit donjon de Samios. Les mains toujours attachées devant lui, les yeux enfin libres de voir ce sur quoi ils voulaient se poser, il fut mené par un long escalier en colimaçon à une petite pièce, où se trouvait un bureau de bois sombre, sur lequel étaient posées de nombreux livres aux couvertures ternes mais de nombreuses couleurs, et surtout des piles très élevées de parchemins. Une simple bougie éclairait le bureau déjà plongé dans l'obscurité d'une nuit qui arrivait tôt sous ces latitudes, et le jeune homme qui se tenait derrière.
Les cheveux d'un brun foncé, mi-longs, recouvraient la main qui tenaient la tête, le coude posé de travers sur le bureau. L'autre main écrivait, une plume d'oie blanche, impeccablement taillée et la pointe recouverte d'une très fine pellicule de cuivre rougeâtre. Le jeune homme était assit sur une chaise d'un bois un peu plus clair que le bureau. Il était tout vêtu de noir, jusqu'aux bottes de cuir qu'il portait aux pieds sous le bureau, sauf une cape rouge sang, accrochée autour de son cou par un fermoir de mithril -seule marque de richesse sur lui. Les yeux d'un bleu électrique suivaient la plume; les fins sourcils étaient arqués par la contrariété des affaires courantes à gérer; la bouche était de travers, l'air ennuyé; les traits étaient fins et légèrement efféminés. Une longue épée était appuyée contre le mur derrière le jeune homme.
L'un des deux gardes qui escortaient Kiaran, tout vêtu de noir comme les autres soldats praetorii, toussota dans son poing fermé. Le Comte de Samios, Caius César, releva les yeux:
- Oui, sergent ?
- Ce jeune homme a été intercepté à la frontière, apparemment seul.
- J'ai pas assez de travail comme ça pour que vous me donniez des trucs dont les gardes-frontières eux-mêmes peuvent se charger ?! Vous...
- Il portait une bannière du royaume d'Ombretueur.
La voix grave du soldat praetorien avait coupée celle claire et un peu aigüe -très aigüe même, en comparaison de celle du garde- du Comte. Il cessa d'écrire et se redressa, fixant soudain le jeune garçon avec attention. Mais la bougie étant la seule lumière de la pièce, il se leva rapidement, la prenant d'une main, et s'approcha de l'enfant et de ses deux hommes. En comparaison des deux gardes, il était un nain: ces derniers dépassaient les deux mètres, mais Caius ne faisait guère que dans le mètre soixante-dix.
Il approcha la bougie du visage enfantin, et s’accroupit à demi pour mettre son visage à niveau, le fixant. Une demi-seconde plus tard, ses yeux jusque-là scrutateurs et interrogateurs étaient ouverts par l'étonnement:
- M...mais...
Il leva la main libre, et toucha doucement la mâchoire de l'enfant, puis la retira, presque comme brûlé par le contact.
- Petit...tu ressembles à une noble personne, sais-tu ? Tu es de la famille de l'Archiduchesse Ombre ?