* Début ici *
Des jours étaient passés. Des mois. Des années même. Qu’est-ce que 6 ans dans la vie d’une Drow ? Rien. Un grain de sable dans le sablier de l’éternité. Une goutte d’eau dans l’océan de la vie qui coule et coule encore aux marges du temps.
J’étais la femme du Seigneur de l’Empire de la rose aux 6 pétales, mais je ne m’y plaisais pas. J’avais soif de liberté. Soif de m’enfuir. Soif de retourner à une vie que j’aurais choisie et non que l’on m’aurait imposée.
Pourtant, si j’avais bien voulu le voir et non rester campée sur mon idée que l’on m’avait vendue, que j’étais prisonnière de ce palais et enchaînée à un homme que je refuse de tout mon être, je me serais aperçue que je jouissais de ce dont tout le monde aurait pu rêver. Medar ne m’avait jamais touché. Et la seul fois ou il avait esquissé un geste vers moi j’avais essayé de lui briser la main… Je n’avais qu’à demander pour obtenir ce que je souhaitais, mais je ne demandais rien. Jamais. Je ne voulais rien de cet endroit. Rien de mon mari. Rien de ses gens. Rien de son peuple qui se voulait être à présent également le mien… Je pouvais aller et venir à ma volonté dans le palais, mais je restais généralement sur le balcon de ma chambre à regarder les grandes portes à l’horizon de la cité… Ces portes que je rêvais de franchir sans me retourner.
J’avais cette sensation désagréable de n’être qu’un trophée fièrement exposé lors des cérémonies et autres évènements à la Cour… Je ne me sentais pas à ma place parée des plus belles robes et des plus beaux bijoux. Ça ne me plaisait pas… Les seules fois où j’avais montré un tout petit peu d’intérêt à quelque chose, ce fut un jour où Medar était en conseil de guerre à élaborer une stratégie d’attaque sur lequel il avait planché avec ses hommes pendants des jours, ce qui m’avait valu quelques nuits seule sans lui. Curieuse, lors de leur pause j’étais entrée dans cette pièce où cartes et figurines étaient exposées dans le but d’asservir l’ennemi. J’avais regardé. Etudié. Les idées étaient venues en grand nombre dans ma tête. Les évidences s’étaient succédées et finalement, quitte à me faire gronder pour avoir touché à leur dessein, j’avais bougé les soldats sur la carte, intervertissant archers et sorciers ou autres modifications. Puis je m’étais éclipsée… Je ne sais pas si Medar a deviné ce jour là que c’étais moi qui était derrière tout ça… Si c’est le cas, il n’en a jamais rien dit.
Une autre fois, il discutait avec ses hommes de main et alors que je passais près de la salle de réunion, il m’avait arrêté pour me demander mon opinion. J’avais hésité à lui cracher au visage de se débrouiller sans moi et que je me moquais de ses soucis, mais je m’étais au lieu de ça retrouvée à côté de lui à étudier un document avec intérêt avant de dire mon avis sans la moindre gêne face à ses conseillers estomaqués.
Voilà ce que j’aimais. L’action. La réflexion. La stratégie militaire. Gagner et conquérir de nouvelles terres. Plancher sur des cartes et des papiers avant de sentir l’adrénaline monter au cœur face à la préparation d’un combat ! Auquel je n’avais encore jamais eu le droit d’aller… J’avais regardé les hommes partir une fois en les enviant. J’avais posé mes yeux sur ma robe de velours argenté et l’avais déchirée avant d’aller enfiler des vêtements d’homme et de descendre dans la cour suivre l’entrainement de soldats en formation. J’avais écrasé tout le monde avec une facilité déconcertante puis était remontée rageuse me plonger dans un bain chaud afin de me délasser en ne cessant de me répéter que je valais bien n’importe quel guerrier de mon mari !
Dans les réceptions, on me regardait. On m’admirait. On chuchotait en me jetant des œillades curieuses ou équivoques quant aux désirs des hommes et à l’envie jalouse des femmes… Je n’y prêtais pas attention. Mais cela me pesait.
Je ne dansais jamais moi qui pourtant aimais tant ça. Je mangeais peu. Je me contentais de regarder et d’observer. Les maîtresses de Medar me lançaient souvent des regards lourds de sous entendus. Mais jamais je ne baissais les yeux. Savaient-elles que nous ne couchions pas ensemble, je ne saurais trop le dire. Mais leur aversion pour moi était évidente. Peut-être avaient elles conscience du danger que je pourrais représenter pour elle une fois que lui et moi nous serions trouvés…
Medar lui demeurait égal à lui-même. Et quand il ne posait pas ses yeux sur moi, je me surprenais à le regarder sans pouvoir m’en détacher. Il avait un charisme et une beauté évidente qui agissait comme un effet magnétique sur moi. Mon cœur parfois manquait quelques battements mais je me disais que c’était mon aversion pour lui qui se manifestait. En revanche en ce qui concernait mes doigts qui se crispaient sur les accoudoirs à en blanchir mes phalanges lorsque je voyais une femme l’approcher ou lui la regarder, je ne savais pas encore trop comment le définir. Probablement que j’étais agacée de devoir sauver les apparences en dormant avec lui quand lui avait le droit de compter fleurette en ma présence à d’autres !
Ce soir là, je m’étais décidée à partir quoi qu’il m’en coûte. Alors, lentement au file des semaines, je m’étais faite plus douce. Moins sauvage. Moins cinglante également lorsque Medar me parlait et que je lui répondais. Je m’étais mise à vivre. Vraiment vivre dans le palais. Je sollicitais les domestiques, j’aidais Medar dans ses complots. Je souriais mais intérieurement je pensais que tous ne perdaient rien pour attendre. Je m’étais ouverte et avais commencé à devenir celle que j’aurais pu être pleinement si ma volonté à partir ne m’avait pas aveuglée.
J’étais tellement obsédée par ce plan d’évasion, par cette envie, ce besoin de m’enfuir, que je ne voyais pas que ce que je prenais pour de la comédie était en fait du réel. Pour moi, je faisais semblant d’être heureuse, quand je l’étais. Semblant de m’ouvrir et d’apprécier Medar quand une complicité évidente s’insinuait pourtant entre nous. Je simulais mon affection pour ce peuple et ces gens, quand en fait je m’y attachais vraiment. Je prétendais accepter mon rôle d’impératrice, quand en réalité je l’étais tout naturellement… Mais ça, tout ça, je ne le voyais pas. Je ne le comprenais pas. Dans ma tête, tout n’était que faux et mensonges ! Ruse pour endormir la vigilance de tout le monde…
Au bout de quelques semaines de patience, une nuit lors d’une réception je prétendis une lassitude et monta dans mes appartements. Je congédiai alors ma servante et m’empressai de retirer mes vêtements d’apparat afin de revêtir une tenue de voyageur. Je troquai satin et dentelles pour cuire et coton, puis attrapai une cape en laine dissimulée sous mon lit que je drapai sur moi avant de me faufiler jusqu’au balcon de la chambre du bout du couloir qui avait un accès plus facile pour descendre dans la cour arrière du palais où se trouvaient les écuries.
Furtive, hagarde, telle une ombre, je glissai donc à l’intérieur de cette pièce sombre et observai la hauteur. Mieux valait ne pas se rater… Sans peur, j’enjambai la balustrade et sautai pour me rattraper à un immense arbre de plusieurs dizaines de mètres de haut et descendis tout en souplesse et en discrétion. Mes pieds claquèrent à peine le sol tant je retombai sur eux en légèreté… Encapuchonnée, j’observai les alentours et ne voyant personne, je me mis à courir jusqu’aux écuries. A pas de loup je m’approchai du veilleur et d’un mouvement sec et efficace, le fit s’écrouler au sol, inconscient. Il en alla de même pour les palefreniers présents, puis en hâte je sellai un des chevaux de Medar, aussi noir que la nuit pour mieux m’y fondre avec plus d’aisance. Je le pris ensuite par la bride, mais ses sabots raisonnèrent sur le sol de pierre. Mes lèvres se pincèrent et je l’arrêtai pour réfléchir. Si je sortais ainsi avec lui, on m’entendrait…
Alors, je volai quelques chiffons de soins aux palefreniers et les nouai autour des sabots de ma monture. Chose faite, le claquement des fers étouffé par le tissu, je me hissai sur le dos de l’animal et doucement, sans précipitation malgré mon impatience, la guidai jusqu’aux portes du château où je du tuer les gardiens qui reconnurent un des chevaux de leur maître, de la petite arbalète fixée à mon gantelet…
Les portes franchies, je lançais mon cheval au grand galop dans les rues de la ville sans prendre garde à qui je pourrais bien renverser à une telle vitesse, ne comptant plus que ma liberté si proche. Je me couchai presque sur l’encolure de l’animal pour aller plus vite encore. Le vent cinglait mon visage et mon cœur battait à tout rompre en moi.
Enfin, l’arche de l’entrée de la ville de la capitale de l’Empire fut passée. Je ne m’arrêtai pas, au contraire, j’accélérai l’allure. Medar ne tarderait pas à s’apercevoir que je n’étais plus dans notre chambre et enverrait probablement ses hommes à ma poursuite. Hors, je ne voulais pas qu’ils me retrouvent !
Les pieds du cheval martelaient le sol avec puissance. J’avais l’impression de voler. La sensation était grisante. L’adrénaline à son comble. Je ne me retournai pas pour regarder ce que je laissais derrière moi. Pour moi, mon avenir était droit devant ! Il m’avait échappé un temps, mais je comptais bien le rattraper !